Jeanne d'Arc, son costume, son armure : essai de reconstitution 
Adrien Harmand
Paris, Editions Leroux, 1929

.: Préface | La chemise | Le chaperon | Le gippon | Les chausses :.

Le gippon

Dans l'énumération des habits fournis à Jeanne d'Arc par les habitants de Vaucouleurs, l'acte d'accusation mentionne un gippon. Il est également question de ce vêtement de la Pucelle dans la déposition de Jean de Metz. Enfin la Chronique de Gouinot et le Journal d'un bourgeois de Paris n'ont garde d'omettre cette partie importante de l'accoutrement masculin au moyen âge lorsqu'ils détaillent le costume de notre héroïne.

Le gippon, appelé aussi jupe, jupel, jupon, se nommait encore doublet parce qu'il se faisait d'étoffes mises en double, ou bien pourpoint, qualificatif qui signifiait piqué, pour la raison qu'il était rembourré d'un capiton de coton et de bourre de soie, maintenu par des pointures. Il se trouvait être le premier vêtement qu'on mettait sur la chemise, correspondant ainsi à notre gilet, avec cette différence qu'il devint, à partir du quatorzième siècle, beaucoup plus nécessaire, puisque, tenant lieu de bretelles, il soutint les chausses qui s'y attachèrent, d'abord au moyen de cordons cousus intérieurement à sa doublure, et plus tard à l'aide de cordelettes de soie ou de minces lanières de cuir indépendantes, ferrées d'aiguillettes, passées dans les oeillets des chausses en même temps que dans d'autres oeillets pratiqués dans le gippon.

Il y eut cependant des pourpoints qu'on revêtait par dessus le harnais de guerre. On appela ces cottes d'armes, jupeaus d'armer, ou doublés à armer, par opposition aux gippons du costume civil, qu'on nomma jupeaus de vestir, ou doublés à vestir.

Le gambeson, porté sous le haubert de mailles dont il était le complément indispensable, rentrait dans la catégorie des gippons.

Lorsque, vers 1340, apparut la mode des habits courts, le doublet à vestir, qui jusque-là s'était toujours trouvé caché sous le surcot, ne tarda pas à prendre parfois la place de celui-ci. Dès lors, devenant visible, il fut souvent confectionné en de riches étoffes. Il alla même à partir de la fin du siècle, jusqu'à s'agrémenter des manches extravagantes d'ampleur qu'on donnait alors aux houppelandes. En même temps, l'ancienne appellation de pourpoint et celles plus récentes de jaque et de jaquette prévalurent pour le désigner sur les dénominations de doublet et de gippon qui nous semblent avoir été plutôt réservées aux pourpoints de dessous. Mais, comme l'a fait judicieusement remarquer Léon de Laborde, le moyen âge n'était pas celui de la précision dans les termes et l'on, nomma quelquefois gippon le pourpoint de velours ou de satin porté à découvert, tandis qu'on appelait pourpoint et même jaquette le simple gippon de dessous en drap, en futaine ou en toile. Quant à l'expression de doublet, elle ne fut plus guère employée au quinzième siècle que pour dénommer une couverture de lit rembourrée et contrepointée.

Du temps de Jeanne d'Arc, le pourpoint ne se porte pas en évidence. Comme plus anciennement, il est redevenu vêtement de dessous, recouvert par la robe, qui n'en laisse apercevoir que le collet droit et montant dont il se trouve presque toujours muni depuis 1415.

A partir de cette date, en effet, le pourpoint de parement, revêtu en guise de robe, devient extrêmement rare. Seuls quelques élégants semblent en avoir parfois usé dans le but de se distinguer par l'originalité de leur mise.

Il arriva cependant que de riches pourpoints furent recouverts, à la mode italienne, par des sortes de chasubles, appelées huques, qui en laissaient voir les manches dans leur entier. Après 1450, des pourpoints également luxueux furent masqués en partie par un court mantel.

Le Rozier des Guerres 1461-1483

Revenons au gippon revêtu sous la robe, le seul couramment usité au temps de notre héroïne. Façon de gilet à manches descendant jusqu'aux cuisses, serré à la taille, collant aux hanches et accusant la poitrine que faisait bomber un copieux capitonnage, il moulait exactement le buste et le bassin, et un simple patron de ce vêtement suffisait à un armurier pour confectionner une cotte de plates à la mesure de son possesseur. La figure 1, provenant d'un manuscrit enluminé vers 1440 représente un personnage que des malfaiteurs sont en train de dépouiller de ses habits. La robe enlevée laisse apparaître le gippon ou pourpoint. Un morceau de chemise sort des chausses incomplètement attachées par derrière.

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Le corps du gippon était ordinairement à quatre quartiers, c'est-à-dire taillé en quatre pièces longitudinales, deux pour le devant, autant pour le dos, assemblées par trois coutures, une postérieure et deux latérales, ces dernières interrompues par les entournures des manches, comme le montre la figure 2. Au quinzième siècle, chacun de ces quartiers se trouvait lui-même formé de deux parties réunies à la taille par une couture. Le vêtement était dit alors fait à deux fois. Le gippon se laçait par devant du haut en bas, soit d'une façon continue (fig. 1), soit partiellement (fig. 2 et 9). Il avait été d'abord boutonné, quelquefois agrafé, ensuite tantôt lacé, tantôt boutonné, et finalement beaucoup plus souvent lacé que boutonné. A l'époque de Jeanne d'Arc notamment, les boutons semblent avoir été presque complètement abandonnés pour la fermeture des corps de pourpoints. Ils reprendront quelque faveur dans la suite.

L'homme engipponné que nous met sous les yeux le fragment de miniature représenté dans la figure 2 est un exécuteur des hautes oeuvres dans l'exercice de ses fonctions. Comme la plupart des personnages en action de travail physique, rencontrés dans l'iconographie, ou cités dans les textes des quinzième et seizième siècles les bourreaux s'y montrent le plus ordinairement en gippon, ayant enlevé leur robe, autant pour lui éviter de sanglantes maculatures qu'afin d'être plus à l'aise dans leur sinistre besogne.

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Les anciens pourpoints du quatorzième siècle s'étaient trouvés pourvus d'étroites manches assez collantes pour nécessiter le long de l'avant-bras une ouverture boutonnée allant parfois jusqu'au delà du coude. Les manches étaient devenues ensuite d'une certaine largeur à l'arrière-bras, tout en restant justes à l'avant-bras. Il y avait eu aussi des gippons dont les manches, amples de l'épaule au-dessous du coude, se fronçaient sur de longs poignets collants et boutonnés, Mais du temps de Jeanne d'Arc, toutes ces manches avaient été successivement abandonnées pour celles du type représenté dans notre figure 2, qu'on rencontre d'ailleurs dès les premières années du quinzième siècle. Modérément larges à l'arrière-bras, plus étroites à l'avant-bras, les manches de ce genre n'étaient plus fermées aux poignets qu'au moyen de quelques boutons, comme l'indique la figure 3, fragment d'un tableau du Musée du Louvre d'environ 1430, ou encore d'un lacet, ainsi qu'on peut le voir dans le portrait d'homme de van Eyck que possède le Musée de Leipzig. Seuls, la plupart des pourpoints italiens continuèrent pendant longtemps à être munis de manches composées de deux parties bien distinctes, l'arrière-bras, large et froncé du haut en bas, s'arrêtant au-dessus et près du coude sur un avant-bras collant, boutonné ou lacé. Ces gippons italiens apparurent en France vers 1450. Ajoutons enfin, pour compléter cet aperçu des manches de pourpoints aux quatorzième et quinzième siècles, que, vers 1431, quelques-unes d'entre elles redevinrent étroites dans toute leur longueur. Des références de 1432 et des années ultérieures en témoignent. Ce fut seulement après 1450 qu'on inventa les mahoîtres, rembourrages sphériques dont on imagina de garnir les épaules des manches collantes de certains gippons. Les deux lutteurs représentés par la figure 4, sont revêtus de pourpoints à mahoîtres. Ces appendices, inconnus en 1430, quoi qu'on en ait dit, avaient pour conséquence d'exagérer la largeur des épaules outre mesure lorsqu'ils étaient recouverts des manches de la robe, déjà plus ou moins froncées en saillie dans le haut de leurs entournures depuis 1445.

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Après 1415, l'encolure de la plupart des gippons se trouva pourvue d'un col montant, rendu rigide par sa doublure et ses piqûres, appelé collet par les textes contemporains.

A l'encontre de beaucoup de particularités du costume qui peuvent faire remonter leur origine dans la nuit des temps, le col est d'invention relativement récente. L'antiquité et les premiers siècles du moyen âge ont ignoré ce détail de l'habillement. Les tuniques, les bliauds, les anciens doublets, si l'on en excepte quelques gambesons portés sous le haubert ne l'ont pas connu. Une image d'environ 1285 nous montre trois personnages dont les cous sont entourés de cols montants et rigides qui paraissent adaptés aux surcots plutôt qu'aux cottes de dessous. C'est croyons- nous la plus ancienne manifestation du col dans l'iconographie médiévale. Elle semble avoir été exceptionnelle et de courte durée, car ensuite les miniatures ne nous font plus voir de cols adaptés aux vêtements civils avant les dernières années du règne de Charles V. Ce que les statuts des doubletiers de 1323 désignent du nom de collet n'était sans doute que l'encolure du doublet, puisque, en dehors du document clé la fin du treizième siècle précité, les images nous montrent cottes et surcots constamment décolletés avant 1370. A cette dernière date, des pourpoints se trouvent surmontés d'une sorte de col de hauteur modérée. Vingt ans plus tard, de vrais cols montants, dénommés collets ou gorgerettes, brodés d'argent de Chypre, en manière de mailles dehaubergeon, ou encore garnis de véritables mailles d'acier, sont adaptés à certains gippons. Parfois même tout un haubergeon, intercalé dans la matelassure du pourpoint en renforce singulièrement le capiton, et c'est, à notre avis, la coutume, prudente alors, de porter la cotte de mailles sous l'habit civil qui donna l'idée d'en adopter simplement la gorgerette. La maille dont le collet, seule partie visible du pourpoint recouvert de la robe, était revêtu, pouvait faire croire à la présence d'un haubergeon dans le corps du vêtement et déconcerter des adversaires animés d'intentions homicides.

Alors qu'un motif de défense fut peut-être l'origine clés premiers cols apparus aux encolures de quelques gippons, il nous semble probable que l'existence de ces appendices sur la plupart des robes à la même époque résulta d'une raison de confort nécessitée par une importante évolution de la mode.

Le long règne du chaperon porté en gorge par toutes les classes de la société dès le temps de Philippe de Valois, en accoutumant les cous à une chaude enveloppe, les avait rendus sensibles aux rigueurs de la température, et lorsque, vers 1380, les élégants renoncèrent à s'engoncer dans la visagière du chaperon, l'hygiène leur prescrivit de remplacer cette sorte d'épais faux-col par des collets montants plus ou moins fermés, afin de protéger des organes depuis longtemps déshabitués du contact des intempéries.

Ces collets, préservateurs du froid, commencèrent par être adaptés à quelques pourpoints, comme l'étaient les gorgerettes de mailles réelles ou figurées. On en munit 'ensuite les robes. Avec les houppelandes, ils atteignirent des hauteurs excessives. Serrés au col, où ils se trouvaient lacés on boutonnés, évasés du haut en façon de goulots de carafe, ils montaient par devant jusqu'au menton, de côté jusqu'aux oreilles, et par derrière encore davantage, encadrant les joues de la fourrure dont ils étaient le plus souvent garnis. Leur grande vogue dura de 1390 à 1410 environ, mais ils subsistèrent exceptionnellement longtemps après cette dernière date. On en vit des exemples vers 1420, 1430, 1440, et même plus tard.

Après 1420, la plupart des collets, dociles aux caprices de la mode, ont passé de l'encolure des robes à celle des gippons jusque-là ordinairement décollétés, et à l'époque de la mission de Jeanne d'Arc, la généralité des pourpoints se trouvent surmontés de collets montants alors que les robes en sont rarement pourvues. Nous croyons donc pouvoir affirmer que le gippon de Vaucouleurs se complétait du col montant et rigide que possédaient en France, en Angleterre et en pays bourguignon, tous les gippons contemporains. Il n'en était pas de même en Flandre allemande, en Allemagne et en Italie, où beaucoup de pourpoints restèrent encore longtemps décolletés, ainsi d'ailleurs que les robes en usage dans les mêmes régions.

Les textes mentionnent dès 1393, et principalement vers 1415, des collets. assis. Il nous semble reconnaître ces collets assis dans ceux que les miniatures représentent prolongeant en pointe leur base postérieure de manière à rappeler les capuchons plaqués sur le dos des chaperons mis en gorge, couramment portés au quatorzième siècle. Ce genre de col n'est d'abord adapté qu'aux houppelandes. En 1416, on en garnit également quelques pourpoints. Au temps de Jeanne d'Arc, tous les gippons en sont munis, et cette mode qui persista jusqu'au siècle suivant est devenue tellement générale, d'après les documents iconographiques, que la mention de collet assis a disparu des comptes et des inventaires. Le col à base postérieure horizontale, comme sont les nôtres, très usité avant 1415, semble ne plus subsister ensuite qu'exceptionnellement pour les pourpoints. Nous pouvons en conclure que le collet du gippon fourni à la Pucelle par les habitants de Vaucouleurs devait être le collet assis, c'est-à-dire à empiècement postérieur angulaire venant s'amortir dans la couture médiane réunissant les deux quartiers du dos, ainsi que le font comprendre la figure 4 du présent chapitre et les figures 1 et 7 du suivant.

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Les cols de pourpoints n'étaient pas sans analogie avec nos faux-cols droits modernes. Saillant comme ceux-ci hors de l'encolure plus basse du vêtement extérieur, ils se trouvaient comme eux influencés par les variations de la mode. De même que pour nos cols de chemise, différentes formes coexistaient. Dans l'imagerie contemporaine de la Pucelle, ces collets sont toujours représentés montants et maintenus plus ou moins rigides selon l'épaisseur de leur doublure et la consistance de l'étoffe dont ils étaient confectionnés. Un système de piqûres, souvent apparentes, en augmentait la rigidité. Leur ouverture, fermée à la base par le lacet du pourpoint, allait en s'évasant plus ou moins vers le haut, de telle sorte que leurs coins supérieurs, à angles légèrement obtus, se trouvaient écartés l'un de l'autre d'un à quelques centimètres, laissant apercevoir le col dont parfois la chemise était pourvue. Suivant le goût et la conformation de chacun, ils étaient de hauteurs variées. Tantôt d'une élévation outrée, comme le montre la figure 5, tantôt très bas, au point d'être cachés par la fourrure qui garnissait l'encolure de la plupart des robes, comme dans certains portraits de van Eyck, on les rencontre le plus souvent de hauteur moyenne dans d'autres oeuvres du même peintre, ainsi que sur les enluminures des manuscrits de la même époque. Le col, d'une très grande élévation, représenté par la figure 5, se trouve garni du haut en bas de plusieurs lignes de piqûres horizontales et parallèles qu'on retrouve assez fréquemment dans des cols contemporains de dimension moins exagérée. Plus tard, des pourpoints se verront surmontés de hauts cols à piqûres verticales recouvertes de galons, ordinairement noirs, d'un effet très caractéristique.

Le Rozier des Guerres 1461-1483 Le Rozier des Guerres 1461-1483

Un portrait d'inconnu, dû au pinceau de van Eyck, que possède le Musée de Berlin, (fig. 6) nous fait voir un collet de pourpoint dont la hauteur très réduite, contraste avec celle du col montré dans l'exemple précédent. Quelques cols bas se trouvaient . complètement clos par 'devant en façon de carcans. D'autres cols, se laçaient (fig. 7), ou se boutonnaient.

Tous ces collets de pourpoints, bien que de dimensions différentes, étaient sensiblement de même coupe. Tous présentaient des coins taillés à angles légèrement obtus. D'autres cols cependant qui n'eurent leur pleine vogue qu'aux environs de 1450, commençaient à faire leur apparition. Les coins de ces derniers étaient, non plus angulaires, mais arrondis au point de devenir inexistants, comme le montre la figure 8, provenant du Bréviaire de Salisbury. Le duc de Bedford qui « estoit sanghin, cras et remplet », semble avoir affectionné, sans doute en raison de son double menton, cette mode toute nouvelle au temps de Jeanne d'Arc.

On peut donc classer les cols de gippons de cette époque en deux catégories.

La première, celle des cols à coins angulaires, représentée par nos figures 5, 6 et 7, se trouvait la plus répandue. La plupart des personnages du Bréviaire de Salisbury sont revêtus de pourpoints munis de collets ainsi façonnés. Semblable particularité se rencontre dans l'oeuvre de Jean van Eyck, comme d'ailleurs dans toute l'imagerie contemporaine. C'est un de ces cols à coins angulaires qui garnit le pourpoint du duc Philippe le Bon dans le tableau de la chasse au vol du Musée de Versailles, vers 1443. Cette manière de collet dura jusqu'en 1450. On en découvre encore exceptionnellement quelques exemples en 1456, et même plus tard.

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La seconde catégorie, celle des cols à coins amortis (fig. 8), peu usitée en 1430, sera au contraire d'un emploi presque exclusif à partir de 1450, où beaucoup de robes auront repris les cols dont elles avaient été généralement privées depuis trente ans. Après 1455, les collets à coins amortis se porteront durant vingt années très ouverts, laissant voir largement l'encolure de la chemise.

Les miniatures ne nous montrent que fort rarement les gippons dépourvus de collets dans le second quart du quinzième siècle. En dehors de l'Italie et des pays de langue germanique, ces pourpoints décolletés, à l'ancienne mode, ne semblent plus avoir été en usage que dans la basse classe et chez les gens de petit état.

Un titre de la Chambre des comptes, cité par du Cange, nous apprend qu'il existait en 1448 des pourpoints à la fois sans col et sans manches que les francs-archers revêtaient sous un jaque épais de vingt-cinq à trente toiles renforcées d'un cuir de cerf. Ces pourpoints, sans doute peu étoffés, n'avaient que deux toiles d'épaisseur et servaient simplement à attacher les chausses. Il est probable que leur invention n'était pas récente et nous croyons bien les reconnaître dans les .12 petiz .jupons de fustenne à atachier délivrés aux douze pages du comte de Nevers en 1390, d'après un texte des Archives de la Côte d'Or.

La toile, le drap, et surtout la futaine, étaient employés à la confection des pourpoints de qualité ordinaire. Il y eut de ces vêtements en cuir. Les pourpoints de damas, de satin, de velours, furent réservés au costume habillé. Analogues à certains de nos gilets modernes, d'étoffe plus fantaisiste que celle de l'habit ou de la jaquette qui les accompagne, de riches pourpoints se trouvaient souvent recouverts par des robes de simple drap de laine.

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Une ouverture pratiquée sur le devant de quelques manches de robes permettait aux bras d'en sortir et de montrer ainsi les manches du gippon, le corps seul de ce dernier vêtement demeurant caché par la robe. C'est pourquoi l'on fit des gippons de toile ou de futaine dont le collet et les manches se taillaient dans des tissus plus recherches. Ces manches n'étaient souvent rapportées que du poignet au-dessus du coude, d'après des miniatures d'environ 1430 (fig. 9) et 1460.

Il est bon de faire remarquer ici que les manches des pourpoints, lorsqu'elles étaient étroites dans toute leur longueur, ne se trouvaient pas faites alors au moyen de deux coutures longitudinales, à la façon de nos manches modernes. La couture postérieure seule existait. On taillait séparément l'arrière-bras et l'avant-bras, réunis ensuite par une couture horizontale un peu au-dessus du coude, comme le montrera le patron de la manche du pourpoint de Charles de Blois, représenté plus loin (fig. 14). Cette disposition favorisait la confection de la manche en deux étoffes différentes.

Des statuts, rédigés en 1400 pour les tailleurs de la ville de Troyes, établissent que les jaques de futaine, faite à une fois, c'est-à-dire sans couture à la taille, se doubleront de deux toiles, tandis que trois toiles seront exigées pour les mêmes jaques, lorsqu'ils seront faits à deux fois. En 1416, trois fines toiles constituent la doublure de pourpoints de futaine et de satin, destinés au comte de Charolais. En 1432, ce prince, duc de Bourgogne depuis 1419, porte ce genre de vêtement, doublé de trois, cinq et six toiles. La doublure de six toiles d'un de ses pourpoints est même renforcée d'un cuir entre deux. On employait en général d'autant plus de toiles dans la garniture des pourpoints que leur étoffe extérieure était plus mince. Alors que trois toiles suffisaient pour la futaine, il en fallait quatre pour le boucassin et cinq pour la soie. La toile qui se trouvait immédiatement en contact avec l'étoffe extérieure s'appelait contre-endroit. Celle qui recouvrait toutes les autres et restait visible à l'intérieur du vêtement se nommait contre-envers. Un minimum de deux toiles, contre-envers et contre-endroit, était exigé pour la matelassure. Du faux du corps en aval, c'est-à-dire depuis la taille jusqu'en bas, le pourpoint n'était jamais doublé que de deux toiles. Le drap était parfois employé à doubler, sans doute par dessus la toile, les pourpoints des gens de qualité.

En 1323, à Paris, le doublet de bourre pouvait avoir au delà de cinq huitièmes d'aune de long, soit environ 0m 72, dimension qu'il n'atteignit même plus, en tant que vêtement de dessous, après l'invention des habits courts vers 1340.

Ne dépassant guère la naissance des cuisses, le gippon du quinzième siècle était percé dans son pourtour inférieur, à quelques centimètres du bord, de plusieurs paires d'oeillets destinés à recevoir les aiguillettes des chausses. Ses coutures latérales et postérieure s'arrêtaient souvent au-dessus ou au niveau de la ligne des oeillets, comme on le voit sur nos figures 2 et 9, ce qui faisait finir le gippon en courtes basques qu'on soulevait pour introduire les aiguillettes des chausses plus aisément dans les oeillets du gippon. Les aiguillettes se trouvaient d'autant plus nombreuses qu'on tenait à avoir des chausses collantes et bien tirées. Par contre, les chausses des gens du peuple n'étaient attachés à leurs pourpoints que par un nombre d'aiguillettes réduit au strict nécessaire. Quantité de Monuments, miniatures et tapisseries, représentant des ouvriers enmple doublure de toile et garnie d"oeillets dans toute sa longueur, recouvre ainsi une partie équivalente de la matelassure sans y adhérer. Cet agencement nous a été révélé par l'examen que nous avons pu faire une cotte d'armes pourpoints conservée au Musée de Chartres, provenant d'un harnais de guerre exécuté pour Charles V vers sa quinzième année, et datant vraisemblablement, au plus tôt de 1350, au plus tard de 1353

Bien qu'antérieure de près de quatre-vingts ans à l'époque qui nous intéresse spécialement, cette cotte pourpoints ne nous en fournit pas moins de très précieux renseignements sur le travail des pourpointiers au moyen-âge. Il est d'ailleurs naturel de penser que les changements de mode atteignaient, comme de nos jours, plutôt l'aspect superficiel des vêtements que leur contexture intérieure et que par conséquent les dispositions essentielles des matelassures, piqûres, laçures et boutonnures des pourpoints n'ont pas dû varier du quatorzième au quinzième siècle. Par exemple, la cotte de Chartres, du temps du roi Jean, est boutonnée, tandis que les gippons de l'époque de Jeanne d'Arc sont généralement lacés, il n'en est pas moins vrai que la façon dont la matelassure était organisée à l'endroit de la fermeture du vêtement devait se trouver la même avec une laçure qu'avec des boutons. La seule différence consistait dans le plus ou moins de largeur des bandes de fermeture, selon qu'on y pratiquait oeillets ou boutonnières, celles-ci demandant plus de place que ceux-là. Alors qu'une bande de vingt millimètres de largeur est suffisante pour la laçure de notre pourpoint, celui de Chartres en exige une de cinquante pour ses. boutonnières. Quant aux paires d'oeillets qu'à partir d'environ 1395 on disposa sur le pourtour du bas des pourpoints l'effet d'y recevoir les aiguillettes des chausses, elles étaient confectionnées dans toute l'épaisseur du vêtements matelassure comprise. La faible couche de bourre ou de coton qui constituait le capitonnage des parties inférieures des gippons permettait cette opération.

Pendant tout le quinzième siècle, le nombre de ces paires d'oeillets varia de deux à onze. Il parait avoir été le plus souvent de neuf, ainsi réparties, deux paires sur le devant, trois de chaque côté, et une par derrière, au bas de la couture du dos, comme le montre la figure 11.

Quelquefois les trois paires d'oeillets disposées sur chacun des côtés du gippon se trouvaient remplacées par une rangée de dix oeillets, rapprochés à égale distance les uns des autres, ce qui permettait de changer à volonté la place des trois aiguillettes d'attache des chausses sur les côtés. On peut remarquer cette particularité sur le pourpoint du charpentier représenté plus haut (fig. 10) ainsi que sur celui d'un bourreau dans la tapisserie de l'empereur Trajan, d'environ 1450, conservée au Musée historique de Berne.

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Il arrivait aussi que les gippons fussent privés de la paire d'oeillets situés au bas de la couture du dos.

Mentionnons enfin, d'après l'iconographie du quinzième siècle, quelques pour- points ne portant pas trace d'oeillets sur leur pourtour inférieur, soit qu'ils recouvrissent d'autres pourpoints sous-jacents destinés à retenir les chausses, soit qu'ils fussent garnis intérieurement de plusieurs paires de cordons d'attache cousues à leur doublure, selon l'usage du siècle précédent.

D'après les monuments contemporains, l'espacement des piqûres parait avoir été constamment de trente-cinq millimètres environ, mesure qu'on trouve à la fois dans le pourpoint de Chartres et dans d'autres cités plus loin. Le taffetas rouge damassé, qui constitue l'étoffe extérieure de la cotte d'armes du dauphin Charles, est piqué avec la matelassure, de sorte que les piqûres sont apparentes au dehors comme au dedans. Cette disposition semble avoir été générale pour les pourpoints à armer, C'est-à-dire ceux qu'on revêtait par dessous l'armure. Les piqûres de ces cottes pourpointes sont le plus souvent verticales. Vers 1410, on en voit dont le corps est piqué obliquement sur chaque quartier de la poitrine et du dos, de façon à figurer des chevrons renversés, tandis que le dessous ou braconnière, que nous appellerions aujourd'hui la jupe, est piqué soit verticalement, soit horizontalement. Plus rares sont les pourpoints d'armes entièrement garnis, corps et dessous, de piqûres horizontales. Une tapisserie de la seconde moitié du quatorzième siècle, conservée dans la cathédrale d'Angers, nous montre un gippon dont le corps et les manches sont piqués verticalement alors que la braconnière l'est horizontalement.

Les piqûres des manches de cottes d'armes paraissent avoir été, comme celles des corps, plus souvent verticales qu'horizontales.

Beaucoup de pourpoints civils avaient eu également leurs piqûres apparentes, horizontales ou verticales, mais il arriva fréquemment, dans le premier tiers du quinzième siècle, que la braconnière seule fût piquée de façon apparente au dehors comme au dedans, et alors horizontalement. Toujours est-il que, du temps de Jeanne d'Arc, d'après les monuments iconographiques, non seulement les piqûres des corps des gippons civils se trouvent invisibles extérieurement, mais encore, sauf de rares exceptions, celles de leur partie inférieure. La garniture interne seule est piquée. Ce sera le cas du gippon dont nous donnons le patron (fig. 11).

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Il nous reste à parler de la fermeture de la manche de ce dernier vêtements Cette manche, assez large à l'arrière bras et au coude, se rétrécit vers le poignet, au point qu'une fente est nécessaire pour y passer la main. On fermait cette fente, soit avec un lacet, soit avec deux ou trois boutons. Il est bon de faire remarquer qu'anciennement les deux bords d'une fente de manche, destinée à être boutonnée, ne se superposaient pas toujours, comme dans nos vêtements modernes. Le plus souvent, ils se juxtaposaient simplement. D'un côté de la fente, les boutonnières étaient pratiquées très près du bord, de l'autre, les boutons, à queues assez longues, se trouvaient cousus sur le bord même. Il en résultait entre les points d'attache, lorsque ceux-ci étaient suffisamment espacés les uns des autres, un écartement des deux bords qui permettait d'apercevoir la manche de la chemise.

Tel était le genre de pourpoint le plus usité à l'époque de notre héroïne. On l'appelait, comme nous l'avons dit plus haut, le pourpoint de quatre quartiers.

Les textes et les images des quatorzième et quinzième siècles nous révèlent l'existence d'une autre sorte de pourpoint, plus rarement employé, par suite sans doute de la complication de sa coupe, mais qui n'en eut pas moins une certaine vogue en même temps qu'une très longue durée. Nous voulons parler du pourpoint à grandes assiettes, qu'on oppose, dans quelques anciens comptes, au pourpoint de quatre quartiers.

Le Rozier des Guerres 1461-1483

On donnait le nom d'assiette à l'entournure de la manche. La mode des habits collants, amenée à ces dernières limites, devait provoquer la création d'un pourpoint d'où serait bannie toute couture formant ligne de démarcation entre l'épaule et le bras. On voulait obtenir du vêtement, autant qu'il se pouvait, l'aspect du corps lui-même, dont nulle particularité extérieure n'indique avec la précision d'une couture où commence le bras et où finit l'épaule. A cet effet, on élargit l'entournure de telle façon qu'elle arriva à dépasser un mètre de tour, tout en laissant les manches assez étroites non seulement aux avant-bras, mais encore aux arrière-bras. La figure 12, provenant d'une peinture italienne d'environ 1360, représente la plus ancienne image de pourpoint à grandes assiettes qui existe à notre connaissance.

Le destin, toujours providentiel, ne nous a pas seulement conservé des gippons de quatre quartiers, tels que la cotte pourpoints du dauphin Charles à Chartres, ou celle du Prince Noir, à Cantorbéry ; il a encore heureusement permis qu'une jaquette à grandes entournures, portée en 1364 par l'infortuné Charles de Blois, traversât également près de six siècles sans trop de vicissitudes pour arriver jusqu'à nous dans un état voisin de son intégrité première. Grâce à l'aimable complaisance de M. Julien Chappée, jadis possesseur de cette insigne relique, la coupe savante et compliquée du pourpoint à grandes assiettes nous a livré tous ses secrets. Certes il y a loin en apparence de ce vêtement de drap d'or, diapré d'aigles et de lions, dépourvu de collet, garni aux manches et sur le devant d'une profusion de boutons selon la mode du temps de Charles V, à l'humble gippon noir, lacé, colleté, exécuté soixante-cinq ans plus tard pour là paysanne de Domrémy par un couturier de petite ville. Le premier était destiné à être porté ostensiblement, le haut seul recouvert du chaperon en gorge, tandis que le second, caché sous la robe qui n'en laissait voir que le collet, devait simplement remplir les modestes fonctions d'un vêtement de dessous. Il n'en est pas moins vrai que les pourpoints de l'époque de Jeanne d'Arc, tous réduits alors à ce dernier rôle, se trouvaient parfois façonnés à grandes assiettes, et qu'il est par conséquent raisonnable de penser que notre héroïne ait pu, à l'instar de plusieurs de ses contemporains, en porter de cette espèce. Enfin, comme l'iconographie nous démontre que la coupe des grandes assiettes resta immuable dans son principe pendant toute la durée de l'existence de cette particularité, nous ne croyons pas sortir du cadre de cette étude en donnant ici le patron du pourpoint de Charles de Blois (fig. 13 et 14).

Le Rozier des Guerres 1461-1483 Le Rozier des Guerres 1461-1483

Il n'y aura qu'à faire abstraction des boutons et des boutonnières, du décolletage de l'encolure, de la coupe particulière des avants-bras avec leurs poignets rapportés, et enfin de l'absence de couture à la taille dans les devants, tous détails appartenant spécialement au quatorzième siècle, pour voir dans ce patron celui d'un pourpoint à grandes assiettes du temps de notre héroïne.

La figure 13 donne le côté gauche du devant avec ses trente-quatre boutonnières, la pointe latérale du même côté, intercalée entre le devant et le dos, puis le haut du dos, et enfin le bas du dos, cette dernière pièce formée d'une partie principale, augmentée, en raison sans doute de l'insuffisance de la largeur de l'étoffe de deux petits morceaux supplémentaires. La couture latérale, réunissant le dos au devant, s'arrête en X, laissant ces deux parties indépendantes l'une de l'autre dans le bas à partir de ce point. Pour ces différentes pièces, la verticale est le sens du fil, à l'exception cependant de la pointe latérale joignant le dos au devant, pour laquelle le sens de l'étoffe se trouve placé horizontalement de gauche à droite.

La figure 14 représente le patron d'une manche, la gauche. Les sept pièces du haut composent l'arrière-bras, les trois du bas l'avant-bras. Le quart de cercle ACB est une pointe qui vient s'intercaler dans la fente ACB de la grande pièce d'arrière-bras tracée immédiatement en dessous. Les différentes pointes et morceaux qui constituent l'arrière-bras sont rangés dans l'ordre où on doit les coudre les uns aux autres. Pour tous, la verticale est le sens du fil, exception faite du fragment de gauche D, de la pointe F, où le sens de l'étoffe est horizontal, et du quart de cercle ABC, dont le droit-fil est indiqué par la flèche qui s'y trouve figurée. Les trois pièces d'avant-bras doivent être, comme les précédentes, cousues telles qu'elles sont disposées sur notre dessin. On joint ensuite par une couture la ligne E H E de l'arrière-bras à la ligne G I G de l'avant-bras. Il reste alors à fermer l'ensemble de la manche. A cet effet, on plie le tout suivant la ligne pointée C H I K, de manière que la ligne sinueuse D E G J de gauche vienne s'assembler à la ligne sinueuse D E G j de droite. En dernier lieu, on coud ces deux lignes seulement de D en L, les parties L E G J de ces lignes devant rester libres pour recevoir, celle de gauche vingt boutons sphériques, celle de droite autant de boutonnières. La grande assiette est constituée par la ligne D A B D du haut de l'arrière-bras. Elle forme une circonférence d'environ 1m 03 qu'il s'agit d'adapter à l'entournure du corps du pourpoint représenté par la figure 13, en ayant soin que les points D A B de la manche viennent se joindre aux points D A B du corps du vêtement.

Comme on peut le voir sur la figure 13, trente-quatre boutonnières sont pratiquées sur le bord du devant de gauche. Or le devant de droite ne possède que trente-deux boutons. Les deux dernières boutonnières du bas se trouvent par conséquent privées de leurs boutons, et l'état de l'étoffe permet de constater que ceux-ci n'ont jamais existé. La cause de cette anomalie provient sans doute de la large ceinture d'orfèvrerie qu'il était d'usage de placer souvent tout en bas des riches vêtements de ce genre.

Trente-deux boutons ferment donc le pourpoint de Charles de Blois. Ces boutons sont de deux sortes. Le premier bouton de l'encolure est plat, les quinze suivants sont sphériques, du modèle de ceux des manches (fig. 14), et les seize derniers redeviennent plats. Semblable disposition singulière se remarque dans la cotte pourpoints du musée de Chartres, garnie d'un premier bouton plat à l'encolure, puis de onze noyaux sphériques, et enfin de quinze boutons plats. Cette similitude est toute naturelle pour deux vêtements exécutés l'un après l'autre à dix ans seulement de distance. Quant à la raison de cette différence de boutons dans la même boutonnure, c'est en vain que nous avons cherché à l'élucider avec certitude. Nous croyons cependant qu'il eût été incommode de descendre de cheval avec une ligne de boutons saillants sur l'abdomen, et que c'est pour cette cause qu'on les remplaçait par des plats. Il nous semble également raisonnable de penser qu'un bouton sphérique aurait gêné à l'encolure pour la mise du chaperon en gorge.

Alors que la cotte d'armes du dauphin Charles est rembourrée plus fortement à la poitrine que dans ses autres parties, une seule épaisseur de bourre de soie garnit uniformément le pourpoint de Charles de Blois. Mais comme la coupe de ce dernier vêtement comporte un bombage de buste très accentué, on est obligé d'admettre qu'il ne pouvait être revêtu que sur un premier pourpoint de dessous suffisamment étoffé par devant. Ce gippon de dessous n'était certainement qu'un demi-corps, sorte de gilet, s'arrêtant à la taille. En effet, le pourpoint de Charles de Blois se trouve muni au dedans, tout autour de sa partie inférieure, de sept paires de cordons spéciaux, solidement cousues de place en place et destinées à attacher les chausses, ce qui excluait toute braconnière venant s'interposer entre celle du pourpoint et les chausses.

Tandis que les cottes de Charles V et du Prince Noir sont piquées verticalement comme la plupart des pourpoints à armer, la jaquette de Charles de Blois, vêtement civil, est piquée horizontalement. On y retrouve les trente-cinq millimètres d'espacement, entre chaque ligne de piqûres, de la cotte de Chartres. Comme dans tout pourpoint

à grandes assiettes, les manches en sont également piquées par lignes horizontales parallèles au contour des entournures, ainsi que le montre le pourpoint italien de notre figure 12.

Un pourpoint fait sur mesure d'après les données de nos patrons (fig. 13 et 14) moule le torse, les manches et les épaules d'une façon irréprochable, produisant un galbe d'un grand caractère et d'une rare élégance, que nul autre genre de coupe ne saurait imiter. Devant un pareil résultat, on ne peut s'empêcher de sourire de l'outrecuidante prétention d'un costumier moderne déclarant au trop crédule auteur d'une histoire du costume: « Nous ne nous servons jamais de la coupe des vieux vêtements, il nous suffit de l'image de leur tournure, et nous obtenons cette tournure avec des coupes à nous, plus simples et partant meilleures que celles des anciens artisans agissant avec des moyens personnels et non d'école, comme le sont ceux de l'industrie des coupeurs modernes. » C'est avec de pareils principes, monstrueux assemblages de pédantisme et d'absurdité, que nos costumiers n'ont encore pu nous donner comme vêtements du moyen âge que de ridicules oripeaux de carnaval.

Le pourpoint de Charles de Blois témoigne, de la part des couturiers du quatorzième siècle, d'un degré de science et d'habileté auquel peu de tailleurs de notre époque seraient capables d'atteindre. Nous sommes certain, dans tous les cas, qu'aucun artisan moderne ne pourrait obtenir la physionomie très particulière de ce gippon en en simplifiant la coupe, car, sur les vingt-huit morceaux qui le composent, il n'en est pas un seul qui n'ait sa raison d'être, n'en déplaise aux simplificateurs modernes de la coupe des anciens vêtements. Les grandes assiettes, mentionnées à différentes reprises dans certains textes de la première moitié du quinzième siècle, se rencontrent naturellement dans l'imagerie de la même époque.

Le Rozier des Guerres 1461-1483

Le plus souvent le tour de l'assiette est seul visible. Parfois cependant l'artiste a scrupuleusement reproduit sur les poitrines les quarts de cercle A B C et sur le dos les pointes D, dont notre figure 13 a donné les tracés. Il arrive même que, dans les élégants vêtements à corps pourpointés, à amples manches, et dont la jupe descend quelquefois jusqu'à mi-jambes, en usage de 1400 à 1415, les coutures sont soulignées par des passe-poils d'une couleur différente de celle du reste de l'habit. Dans d'autres cas, une riche joaillerie recouvre la couture du tour de l'assiette. On voit aussi des corps de pourpoints d'une couleur, tandis que les manches avec leurs assiettes sont d'une autre. Les pourpoints de dessous à grandes assiettes posséderont quelquefois la même particularité, comme le montre la figure 15 datée de 1441. Dans ce dessin, le corps du vêtement destiné à être caché par la robe semble être en toile, alors que le collet, toujours visible, et les manches, qu'on peut apercevoir avec certaines façons de robes, paraissent avoir été taillés dans une étoffe d'aspect plus confortable. Il suffit de comparer entre elles nos figures 12 et 15 pour voir que les changements apportés dans les pourpoints à grandes assiettes par les modes successives d'une période de quatre-vingts ans ne portèrent ni sur la forme, ni sur la dimension des assiettes. Seuls quelques détails ont changé, tels que les piqûres apparentes dans l'un de ces vêtements, invisibles dans l'autre, la profusion de boutons du plus ancien, supprimée dans celui de 1441, où elle est remplacée à grandes assiettes sur le devant par une laçure, la présence à l'encolure du plus récent d'un collet qui n'existait pas en 1360, et enfin la disparition, dans ce même pourpoint, des poignets couvrant en partie les mains du personnage de la figure 12. Ces poignets furent l'origine des bombardes de 1400, bannies de la toilette des hommes à partir de l'année 1415.

Le pourpoint à grandes assiettes, dont une suite presque ininterrompue de témoignages écrits ou figures nous met à même de constater la vogue centenaire, était donc encore porté du temps de Jeanne d'Arc. Une miniature de 1427 et des textes de 1432, cités dans nos notes précédentes, auraient suffi d'ailleurs à prouver cette assertion. Mais il ne s'en suit pas forcément que notre héroïne ait usé de cette sorte de vêtement. Il est même probable qu'au moins son premier gippon, celui qu'on lui confectionna à Vaucouleurs au mois de février 1429, ne fut qu'un simple pourpoint de quatre quartiers, du modèle de celui dont nous avons donné le patron dans la figure 11. La complication des grandes assiettes pouvait dépasser les talents d'un couturier de petite ville.

Si l'on en croit le greffier de la Rochelle, ce gippon de Vaucouleurs était noir, comme le chaperon de même provenance ; ce qui n'est pas surprenant, étant donné, d'après les textes et les images, que cette teinte se trouvait celle de la plupart des pourpoints de cette époque.

Il fut d'usage, à la fin du quatorzième siècle, d'introduire dans le capitonnage des pourpoints une quantité notable de certaine poudre dont il est difficile aujourd'hui d'expliquer l'emploi. Il est du reste de peu d'importance de savoir si cette coutume, attestée à plusieurs reprises dans les comptes du duc Louis d'Orléans mais que les textes ultérieurs ne mentionnent plus, était ou non tombée en désuétude au temps de la Pucelle.

Fournie par des apothicaires, cette poudre n'était peut-être, malgré son prix très élevé, qu'un vulgaire insecticide, sa grande proportion d'une livre pour un seul pourpoint tendant à écarter l'hypothèse d'un parfum. Il est encore possible qu'elle se trouvât destinée à conjurer les maléfices aussi redoutés alors que fréquemment employés. Toujours est-il que si l'on poudra l'intérieur des pourpoints de notre hér6ine dans l'intention de les charmer, ce fut certainement à son insu. Plusieurs de des réponses, au procès de Rouen, nous apprennent qu'elle méprisait les sortilèges et nous devons en conclure qu'elle n'aurait pas moins dédaigné' les opérations magiques ayant pour but de les rendre inoffensifs.

Le gippon conserva le nom de pourpoint jusqu'au milieu du dix-septième siècle. A cette époques étant plus depuis longtemps ni rembourré ni pourpointé, on l'appela veste. Nous le possédons encore aujourd'hui sous la dénomination inaugurée à la fin du règne de Louis XV, de gilet.

Les mots gipe, gipon, ou jupe et jupon qui prévalurent, s'appliquèrent aussi à une cotte de dessous, juste au corps comme le gippon masculin, mais portée par les femmes. Sous Louis XIV, la partie supérieure de ce vêtement était dite le corps de jupe. Sa partie inférieure, de la taille vers les pieds, constituait le bas de jupe. On finit peu à peu par appeler la première simplement le corps, et la seconde la jupe. Celle-ci, séparée plus tard du corps, devint le jupon. Et voilà comment un terme qui en principe désignait essentiellement un vêtement de buste, en est arrivé à dénommer une toute autre partie du costume. L'ancien gippon du moyen âge se trouve donc être l'ancêtre direct à la fois du gilet d'homme et du jupon féminin des temps modernes.

Les figures 16, 17 et 18 représentent un essai de reconstitution du pourpoint noir, confectionné à Vaucouleurs pour la Pucelle au mois de février de l'année l429, en vue de son voyage à Chinon. Les patrons que nous offrons de ce vêtement sont établis à la mesure d'une jeune fille de dix-sept ans, dont la stature est d'un mètre cinquante-huit. Nous aurons l'occasion, dans un chapitre ultérieur, de prouver, au moyen d'un document rigoureusement authentique, que telle devait être à peu près la taille de notre libératrice.

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La figure 16 montre les six parties de drap qui constituent l'étoffe extérieure du côté gauche du pourpoint, à savoir les quatre morceaux du corps, celui du collet et celui de la manche. Si l'on compare ces six pièces aux pièces correspondantes du pourpoint fait pour un homme reproduites dans la figure 11, on s'apercevra que la seule différence appréciable qui existe entre les deux vêtements consiste dans le nombre des paires d'oeillets destinées à recevoir les aiguillettes des chausses. Alors que la braconnière du pourpoint d'homme comporte cinq paires d'oeillets sur chaque moitié de son pourtour, soit dix pour la totalité de ce pourtour, la braconnière du pourpoint reconstitué de la Pucelle en possède le double. L'acte d'accusation nous apprend en effet que les chausses de la sainte étaient reliées à son gippon par vingt aiguillettes.

Les six dessus de drap noir reproduits dans la figure 16 devront recouvrir autant de capitonnages d'ouate maintenus entre deux toiles par des piqûres. Nous savons que, de ces deux toiles, celle qui est destinée à être en contact avec le drap s'appelle contre-endroit et celle qui s'appliquera directement sur la chemise se nomme contre-envers.

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La figure 17 montre les matelassures du côté de leur contre-endroit. On y voit comment sont disposées les piqûres sur chacune d'elles. Toutes sont entièrement en toile, à l'exception d'une bande de drap noir a b c d qui borde le devant du contre-endroit de la matelassure du corps. Cette bande de drap sera recouverte d'une bande de toile volante, en ce sens qu'elle ne tiendra à la matelassure que par une couture le long de la ligne b d. Cette dernière bande servira de doublure à la partie correspondante du dessus du pourpoint et c'est dans cette partie ainsi doublée que seront percés les oeillets de laçure, ceux-ci ne pouvant être pratiqués dans l'épais capitonnage du buste. Cette ingénieuse disposition nous a été révélée par l'examen que nous avons pu faire de la cotte pourpointe de Charles V enfant, conservée au Musée de Chartres.

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On remarquera que la matelassure du devant du buste est taillée sensiblement plus grande que son dessus correspondant représenté dans la figure 16. Voici la raison de cette particularité. Tandis que les autres matelassures ne renferment qu'une seule épaisseur d'ouate, le capitonnage de poitrine, dont la figure 18 donne la disposition, est composé, ainsi que le montre cette figure, d'une dizaine d'épaisseurs d'ouate superposées, allant en diminuant de grandeur et agencée de façon à ménager la place des seins. Les piqûres de ce fort capitonnage auront pour effet de la rétrécir et de l'amener à la mesure du dessus de drap correspondant (fig. 16) qui doit le recouvrir.

Ajoutons qu'une troisième toile devra s'intercaler entre les matelassures du buste et leurs dessus de drap, cette troisième toile devenant ainsi le véritable contre-endroit. Nous savons en effet que les statuts des pourpointiers exigeaient trois toiles pour le corps d'un gippon, tandis que deux seulement étaient jugées suffisantes pour ses manches et sa braconniere.



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