Jeanne d'Arc, son costume, son armure : essai de reconstitution 
Adrien Harmand
Paris, Editions Leroux, 1929

.: Préface | La chemise | Le chaperon | Le gippon | Les chausses :.

Les chausses

Les chausses, devenues avec le temps le principal vêtement de jambes, eurent pour origine le calceus. Ce terme désignait chez les Romains une chaussure fermée, plus ou moins montante, alors que celui de solea, dont dérive notre mot soulier, s'appliquait à une simple sandale. Du calceus gallo-romain vint la calcia, sorte de chausson d'étoffe qu'en français on nomma chausse et dont la tige, de siècle en siècle, monta de plus en plus haut sur la jambe jusqu'à parvenir au delà des cuisses à la fin du moyen âge. Elle atteignit même la taille au début de la Renaissance.

D'une façon générale, on peut dire que les calciae, appelées aussi libialia ou encore caligae, d'abord à mi-jambes, arrivent aux jarrets dans le courant du dixième siècle. On les voit ensuite, vers 1150, ayant dépassé les genoux, et sous le règne de saint Louis, montant déjà jusqu'en haut des cuisses. Beaucoup de chausses arrêteront là leur croissance; d'autres continueront leur ascension.

Au quinzième siècle, il y en avait de plusieurs sortes. Chausses rondes, chausses à queues, chausses à étriers, chausses à coins, chausses à pieds rapportés coexistaient à l'époque de notre héroïne. Tous ces différents types se ramenaient à deux catégories principales, celles des chausses vides dedans jambes, c'est-à-dire séparées comme des bas, et celle des chausses plaines dedans jambes, c'est-à-dire jointes ensemble, à la manière de nos pantalons. Les chausses rondes et les chausses à queues appartenaient à la catégorie des chausses vides dedans jambes. Quant aux chausses à étriers, à coins, à pieds rapportés, distinctions n'affectant que leur partie inférieure, elles étaient indifféremment vides ou plaines dedans jambes. Les chausses se faisaient communément en drap de laine d'une élasticité toute particulière. Quelques-unes furent confectionnées en toile.

On conçoit que deux chausses dont le haut n'arrivait pas à toucher l'entre-jambes ne pouvaient être cousues l'une à l'autre. Mais quand vint le moment où elles atteignirent le tronc, il fut possible de les réunir. Il est difficile de fixer d'une façon précise la date de cette innovation. Antoine de la Sale nous apprend qu'au temps de Charles V, les chausses ne s'entretenaient mie. Elle est donc postérieure à 1380. Cinquante ans plus tard, l'acte d'accusation de la Pucelle lui reproche d'avoir usé de chausses jointes ensemble, caligis simul junctis. Bien qu'il ne soit pas explicitement question de ce genre de chausses dans les textes avant 1431, on doit cependant admettre que leur apparition fut antérieure à 1404, où, pour la première fois, les statuts des chaussetiers mentionnent spécialement les chausses vuides dedens jambes, c'est-à-dire séparées, comme l'avaient toujours été les chausses des treizième et quatorzième siècles.Cette mention en effet prouve implicitement l'existence d'autres chausses qui n'étaient pas vuides, mais plaines dedens jambes, c'est à dire réunies au moyen d'une couture et par conséquent sans vide à l'entre-jambes. On peut donc placer vers 1400 l'avénement de ce nouveau mode.

L'usage des chausses jointes ensembles ne supplanta jamais complètement celui des chausses séparées.

Ces dernières se subdivisaient en chausses rondes et en chausses à queues.

Les chausses rondes, ainsi nommées parce que l'ourlet de leurs entrées circonscrivait exactement le haut de la cuisse, étaient les plus anciennes. Longtemps elles furent les seules connues, et, lorsqu'on en eut imaginé d'autres sortes, leur emploi persista, principalement chez les paysans, qui les conservèrent très tard.

Du temps de saint Louis, une lanière partant de la ceinture des braies maintenait la chausse tirée en s'attachant à un nouet qui se trouvait cousu à l'ourlet de chaque chausse par devant. Le nouet était un bouton sphérique formé d'un noyau solide enveloppé d'étoffe. Dans la suite, les chausses ne se relièrent plus aux braies, mais au gippon. Des cordons fixés à l'intérieur de ce dernier vêtement retinrent dès lors les chausses percées d'oeillets pour les recevoir. Enfin une troisième modification vint remplacer ces cordons par des aiguillettes, passées dans les oeillets des chausses et nouées après avoir traversé d'autres oeillets pratiqués au bas du gippon.

La figure 1 représente un soldat italien de 1447, chaussé de chausses rondes, comme on en portait déjà au treizième siècle, avec cette différence toutefois qu'elles sont attachées au gippon, au lieu d'être reliées par une lanière à la ceinture des braies, ainsi que le montre une sculpture du portail méridional de la cathédrale de Chartres.

Le Rozier des Guerres 1461-1483

La figure 2 offre la reconstitution du patron d'une chausse ronde du quinzième siècle. Cette chausse se trouve être à étrier, C'est-à-dire qu'elle se termine en sous-pied, laissant le talon et l'avant-pied à découvert (Voir fig. 3).

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La verticale étant le sens du fil, la position oblique de notre patron prouve que la chausse doit être taillée de biais. On exigeait en effet que les chausses fussent ainsi, coupées pour qu'elles eussent leur maximum d'élasticité.

AB était réuni à A' B.' par une double couture, à fil double, et rabattue, qui se plaçait tout du long de la jambe par derrière. CD, cousu à C' D, formait un sous-pied qu'on appelait étrier ou étriviére. On voit en E la paire d'oeillets substituée au nouet des siècles précédents.

La figure 3, extraite d'une peinture allemande de 1437, fera clairement comprendre ce qu'on entendait par l'étrier ou l'étrivière d'une chausse. On peut en effet considérer le sous-pied qui termine la chausse représentée dans ce dessin, soit comme un étrier, soit comme une étrivière. Une chausse taillée suivant notre patron (fig. 2) donne exactement au pied qui en est revêtu l'aspect de celui de la figure 3.

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Lorsque, vers 1340, les élégants abandonnèrent la robe longue pour adopter le costume court et étroit, ils ne tardèrent pas à reconnaître que les, chausses tirées par une seule attache moulaient insuffisamment leurs jambes devenues visibles. On augmenta donc le nombre des cordons fixés à la doublure des pourpoints. Ces cordons sont appelés estaches dans les anciens textes.

Sept estaches de 1364, nous ont été heureusement conservées dans le pourpoint de Charles de Blois. Chacune d'elles se compose d'une patte cousue à l'intérieur de la braconnière et donnant naissance à deux cordons tissés circulairement en tuyaux se terminant en pointe. La figure 4 représente une de ces estaches qui atteignent une longueur d'environ vingt-trois centimètres patte comprise. Les chausses qu'on reliait au pourpoint précité ne possédaient pas de nouets. Sept paires d'oeillets, correspondant aux sept estaches du vêtement, étaient pratiquées dans l'ourlet de leurs entrées. Les cordons d'attache, après avoir traversé les oeillets des chausses, se nouaient en dehors de celles-ci. Ils sont disposés à l'intérieur de la braconnière du pourpoint de la façon suivante : un par devant sur chaque cuisse, un de chaque côté, un sur chaque rein, et le septième en bas de la ligne médiane du dos, entre les deux précédentes. La présence de cette dernière estache, inexplicable avec des chausses rondes, prouve que les chausses de Charles de Blois étaient déjà du genre de celles, dites chausses à queues au quinzième siècle et dont la vogue durera jusqu'à la fin du moyen âge.

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Une reconstitution de chausses à queue du temps de Jeanne d'Arc est donnée par la figure 5. A B doit être cousu à A' B', puis le sous-pied comme précédemment.

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On a pu remarquer, dans notre figure 2, que l'entrée de la chausse se trouve taillée suivant une ligne continue formée de deux légères courbes se raccordant en sens inverse. On voit qu'il n'en est pas de même pour la chausse à queue, dont le tour d'entrée se compose de deux lignes concaves accolées, C E et EA', produisant nécessairement deux saillies angulaires, l'une par devant, en E, et l'autre par derrière, en C. Celle-ci se nommera, au quinzième siècle, la queue. Du côté externe C E, le pourtour de l'entrée s'incurve modérément, tandis que du côté interne, il s'abaisse en courbe E A' suffisamment concave pour ne pas gêner l'entre-jambes. Les différents statuts des Ordonnances royales qui nous ont été conservés appellent de temps à autre l'attention des chaussetiers sur ce dernier point. Il ne fallait pas cependant que cette précaution fût exagérée. Les statuts les plus explicites ordonnent, sous peine d'amende ou de retouche, que la chausse soit d'environ deux doigts plus basse en dedans qu'en dehors de la cuisse. Nos patrons remplissent exactement cette condition.

Les deux chausses qu'ils représentent sont à étriers, mais il va sans dire que chacune d'elles aurait pu être munie d'un pied tout en restant ronde ou à queue.

Dépourvues de pieds, leur usage nécessitait des souliers fermés plus ou moins montants.

Les sculptures d'environ 1230 qui symbolisent l'Hiver et le mois de Février au portail nord de la cathédrale de Chartres nous fournissent les deux plus anciens exemples de chausses à étriers existant à notre connaissance.

Les étriers des chausses se laissent apercevoir fréquemment dans l'iconographie du quinzième siècle et, si l'on s'en rapporte aux miniatures représentant des personnages en train de se déchausser, les souliers n'étaient de mise qu'avec ce dernier genre de chausses.

Le nombre des paires d'oeillets réparties autour de l'entrée des chausses vides dedans jambes varia, non seulement suivant que ces chausses trouvaient rondes ou à queues, mais encore selon les époques. Le système d'attaches du pourpoint de Charles de Blois nous a fait constater qu'en 1364, les gentilshommes avaient abandonné les chausses rondes. Celles-ci furent de plus en plus délaissées dans la suite, si bien qu'au quinzième siècle, on ne les voit guère portées que par des paysans. Un ou deux cordons ferrés d'aiguillettes retiennent alors chaque chausse ronde au gippon. A cet effet, une ou deux paires d'oeillets, remplaçant le nouet anciennement usité, sont pratiquées dans l'ourlet de l'entrée de la chausse. Il y en a toujours une par devant, comme l'a montré notre figure 2, et quelquefois une autre sur le côté externe.

A leur tour, les chausses à queues perdirent la faveur des hautes classes. Reléguées parmi les artisans et les campagnards au temps de Charles VI I, elles ne porteront plus dès lors les sept paires d'oeillets que nous leur avons vues sous le règne de Charles V. Cette quantité d'attaches, qui offrait l'avantage de maintenir les chausses collantes et bien tirées, avait par contre l'inconvénient de gêner certains mouvements de flexion. C'est pourquoi, lorsque les chausses à queues tombèrent dans le domaine du peuple, on réduisit le nombre de leurs attaches à cinq. Chaque chausse eut donc, comme le font voir à la fois le patron donné par la figure 5 et le fragment de miniature que représente la figure 6, deux paires d'oeillets par devant et un oeillet seulement par derrière à l'extrémité de la queue. Le cordon d'attache postérieur tenait à l'oeillet de queue de la chausse droite. Pour relier les deux chausses à la paire d'oeillets pratiquée au bas du dos du pourpoint, on passait l'un des bouts du cordon fixé à I'oeillet de la chausse droite dans celui de la chausse gauche. Les deux queues se trouvant ainsi réunies par la même aiguillette, celle-ci les reliait ensuite au pourpoint. Bien que le nombre des attaches de ce genre de chausses eût été réduit à cinq, la tension provoquée par l'attache postérieure gênait encore dans des occupations qui exigeaient une certaine liberté de mouvements. Aussi les miniatures nous représentant des personnages chaussés de chausses à queues en action de travail, nous les montrent-ils toujours ayant dénoué l'attache de derrière. Les deux queues, détachées et séparées, retombent alors sur les cuisses (fig. 7) donnant à peu près l'apparence de la queue bifurquée d'un poisson. C'est pour cette raison que les chausses à queues s'appelaient, du temps de Rabelais, chausses à queue de merlus.

Le Rozier des Guerres 1461-1483 Le Rozier des Guerres 1461-1483

Lorsque les deux queues étaient réunies et rattachées au gippon, elles recouvraient le bas des reins. La conformation des chausses à queues permettait donc de maintenir à volonté cette partie du corps vêtue ou dévêtue. C'était un avantage queues possédaient sur les chausses rondes. Ces dernières en effet ne montant pas au delà du haut des cuisses, laissaient continuellement le séant, muni seulement du brayer, à découvert.

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Une peinture italienne, d'environ 1450, nous apprend l'existence d'un troisième genre de chausses vides dedans jambes, tenant à la fois des chausses rondes et des chausses à queues. Ce genre intermédiaire comprenait des chausses taillées comme les chausses à queues, mais privées de ces appendices, de telle sorte qu'à l'instar des chausses rondes, elles découvraient complètement le fond des braies que ne voilait pas toujours la présence d'une chemise. (fig. 8).

Le patron, donné par la figure 9, reproduit la jambe droite d'une paire de chausses de cette coupe qui nous parait avoir été spéciale à l'Italie. AB est cousu à A' B'. La ligne CE constitue la partie externe du pourtour de l'entrée, et la courbe EA' la partie interne. On remarquera que la concavité de cette dernière se trouve ici beaucoup plus accentuée que dans les deux chausses dont nous avons donné précédemment les patrons.

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Cette différence a pour résultat de faire monter la chausse moins haut à l'entre-jambes qu'on ne l'exigeait en France. On voit en outre que la chausse de' notre figure 9 comporte, à son angle postérieur C, une paire d'oeillets, alors que la chausse à queue ne possède, au même angle qu'un seul oeillet (fig. 5). La raison en est que les chausses italiennes dont il est question, entièrement indépendantes l'une de l'autre, se reliaient par derrière au gippon au moyen de deux attaches, une pour chaque chausse, tandis qu'une seule attache postérieure réunissait les deux queues d'une paire de chausses à queues.

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Les chausses vides dedans jambes étaient les seules qu'on pût avaler. On dénommait ainsi l'opération qui consistait à descendre chaque chausse, après l'avoir détachée du gippon, en l'enroulant sur elle-même jusqu'au dessous du genou, où elle formait alors un bourrelet saillant. Pour avaler la chausse à queue, on la retournait d'abord de façon à en rabattre la queue sur le jarret. On procédait ensuite à son enroulement. Il en résultait un dépassement de la queue sous le bourrelet (fig. 10), très visible dans les miniatures qui nous offrent des exemples de chausses à queues avalées. Quant à l'avalement de la chausse ronde, il s'effectuait en enroulant simplement celle-ci depuis le haut de la cuisse jusque sous le genou, comme l'a montré notre figure 3.

La saillie du mollet suffisait à maintenir en place le bourrelet produit par l'enroulement de la chausse avalée. Cependant quelques images nous font voir des chausses de paysans coulissées sous le genou. Un cordon passant dans la coulisse faisait alors l'office de jarretière et rendait ainsi la position du bourrelet tout à fait stable.

Les chausses vides dedans jambes, que nous venons d'examiner en détail sous les différentes formes qu'elles présentaient au temps de Charles VII, eurent une très longue durée. On peut même dire qu'elles ne disparurent jamais complètement si l'on veut bien reconnaître dans nos bas modernes les anciennes chausses rondes un peu diminuées.

Nous allons maintenant nous occuper des chausses plaines dedans jambes, autrement dites jointes ensemble, qui durent prendre naissance dans les toutes dernières années du quatorzième siècle.

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Avec le port des vêtements courts, les chausses séparées avaient un inconvénient que le chroniqueur de Saint-Denis signalait vers 1370 en déplorant la deshonnesteté des habits inaugurés trente ans auparavant. « Les uns avoient robes si courtes qu'il ne leur venoient que aux nasches (fesses), et quand ils se baissoient pour servir un seigneur ils monstroient leurs braies et ce qui estoit dedens à ceux qui estoient derrière eux » . Le chevalier de la Tour Landry, qui écrivait en 1371, fait parler un évêque en termes analogues, mais plus osés, à propos du costume écourté de ses contemporains. Pour remédier à cette incorrection, que réprouvait l'austérité des moralistes, il fallait modifier les chausses ou rallonger les robes. C'est alors qu'on s'avisa de joindre l'une à l'autre par une couture les deux jambes d'une paire de chausses à queues. La figure 11 montre le patron d'une jambe droite de ce nouveau modèle, que du temps de Rabelais on appellera. chausses à plain fondz, ou chausses foncées, par opposition aux chausses a queues de merluz qui étaient vides dedans jambes et par conséquent sans fond.

Pour exécuter la paire de chausses dont une moitié est ici représentée en coupe, le côté E' G' de la pièce E' F G' est d'abord cousu, dans chaque chausse, à la ligne courbe E G. On ferme ensuite chaque jambe en réunissant A B à A'B'. En dernier lieu, on joint les deux jambes l'une à l'autre en cousant la ligne CAG'F de la jambe droite à la ligne correspondante de la jambe gauche.

On voit que la seule différence essentielle existant entre ce patron et celui de la chausse à queue donné par la figure 5 consiste dans l'adjonction de la pièce antérieure E' FG', destinée à réunir les deux jambes par devant en même temps qu'à recouvrir la poche des braies.

Lorsque, dans les dernières années du quinzième siècle les chausses accentueront leur ascension vers la taille, cette pièce antérieure deviendra indépendante. Sa partie inférieure seule restera fixée à demeure à l'entre-jambes, tandis que sa partie supérieure, garnie d'une paire d'oeillets à chacune de ses extrémités de droite et de gauche, se rattachera par des noeuds d'aiguillettes à deux paires d'oeillets pratiquées dans les chausses à un niveau sensiblement au dessous de celui des oeillets de ceinture. On appellera cette pièce antérieure, devenue mobile, la braye. Plus tard, on lui donnera le nom de braguette. Rabelais, qui s'étend complaisamment sur les mérites de cet appendice, nous expose, avec la liberté de langage dont il est coutumier, les étranges conséquences qu'aurait eues, d'après lui, pour les religieux cordeliers l'usage des chausses séparées qui ne comportaient pas de braguettes.

Pour bien aller, il fallait que les chausses fussent collantes et bien tirées. A cet effet, on les confectionnait sur mesure. Elles étaient alors dites chausses faitisses. Les classes pauvres se contentaient de chausses moins ajustées.

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Toutes les chausses dont nous présentons, dans ce chapitre, les patrons reconstitués sont taillées pour une conformation donnée. La coupe de ces vêtements variait nécessairement selon les individus. Elle devait être établie de telle sorte que la couture de chaque jambe partageât également par le milieu la face postérieure du membre, depuis le talon jusqu'en haut de la cuisse. A partir de cet endroit, elle se dirigeait obliquement vers la couture qui réunissait les deux chausses sur les reins. Il en fut ainsi pendant les trois premiers quarts du quinzième siècle. Lorsqu' ensuite les chausses parvinrent à la taille, la couture de chaque jambe, au lieu de rejoindre la ligne de réunion des deux chausses, se prolongea directement jusqu'à la ceinture. La figure 12,explique cette différence qui exista entre les chausses foncées du moyen âge (A) et celles de la Renaissance (B).

La raison de la disposition des coutures de ces dernières tenait à la nécessité de réduire la ceinture à la mesure de la taille, toujours plus étroite que le tour des hanches, au dessous desquelles s'arrêtaient les chausses du moyen âge. On remarquera en effet, sur notre dessin B, que les coutures de chaque jambe, arrivées dans la région lombaire, côtoient la couture médiane du fond en se rapprochant de plus en plus de celle-ci de façon à diminuer le tour de ceintures.

Il se rencontre, parmi les monuments du quinzième siècle, un exemple de chausses dont la couture de chaque jambe présente une solution de continuité du talon au bas du mollet. Cette fente, destinée à faciliter le passage du pied, se fermait au moyen de boutons, une fois ce passage effectué. Un autre exemple se remarque au siècle suivant, dans une statue funéraire de la cathédrale de Badajoz, montrant un expédient du même genre, une fente s'y trouve pratiquée, non plus dans la couture, mais en dedans du bas de la jambe, où elle se ferme par une agrafe. Ces deux exemples sont des exceptions.

Les différentes chausses dont nous avons jusqu'ici donné les patrons (fig. 2, 5, 9 et 11) sont à pieds coupés, munies seulement de sous-pieds ou étriers. Il nous faut parler maintenant des chausses garnies de pieds qu'on appelait chausses à moufles. Il est bien entendu, comme nous l'avons déjà dit, que la distinction entre chausses séparées et chausses jointes ensemble était indépendante de l'agencement de leurs extrémités inférieures. Que les chausses fussent rondes, à queues ou à plain fond, elles pouvaient être en même temps soit à moufles, soit à pieds coupés.

Les chausses à moufles se divisaient en chausses à coins et en chausses à pieds rapportés.

Le Rozier des Guerres 1461-1483 Le Rozier des Guerres 1461-1483

Les coutures, permettant de discerner l'une ou l'autre de ces deux coupes, se trouvaient peu apparentes. Il est donc naturel que les artistes, ayant à représenter des jambes vêtues de chausses à moufles, se soient dispensés d'indiquer ces coutures qui ne pouvaient se voir que de très près. Exceptionnellement cependant, un dessin de Pisanello nous montre une chausse dont les coutures du pied sont visibles (fig. 13). C'est une chausse à talon et avant-pied rapportés. Nous en retrouvons trois autres, de coupe identique, sans pieds il est vrai, mais prêtes à recevoir des talons et des avant-pieds, dans le blason des chaussetiers de Bruxelles au quinzième siècle. La figure 14 reproduit l'une d'elles.

La figure 15 donne la reconstitution d'un patron de chausse à pied, d'après les deux documents précédents.

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Le pied se trouve taillé comme un soulier, en quatre pièces, une semelle A B, une empeigne, appelée avant-pied, CDFEB', et deux quartiers de talon GA' CD et G' A" EF, réunis à l'empeigne par les coutures DC et FE. GA' se coud à G' A" pour former la couture du talon. La semelle AB est ensuite cousue aux quartiers et à l'empeigne. Il ne reste plus, pour terminer, qu'à joindre GDFG' du pied à GDFG' du bas de la jambe.

Il arrivait aux chausses ce qui se produit dans nos bas et dans nos chaussettes. Le bout du pied s'usait tandis que le reste de la chausse demeurait en bon état. Il était donc d'une économie bien comprise de renouveler, quand il le fallait, les avant-pieds d'une paire de chausses dont les jambes et les talons pouvaient encore servir.

Moins aisés à remplacer, les quartiers des talons devaient être soigneusement confectionnés et ne pas se prolonger sur les côtés au détriment des avant-pieds. Tel était le genre de chausses à moufles qui parait avoir été le plus usité.

Quant aux chausses à coins, aucun document iconographique ne les décèle et nous n'en connaîtrions l'existence que par les textes si l'habit des carmélites ne nous en avait conservé le modèle intact depuis 1452. Ce type était certainement plus ancien, car il n'a jamais dû être de règle, lors de la fondation d'un ordre de religieuses, de les vêtir à la dernière mode. La figure 16 donne le patron d'une chausse ronde, à coins, reconstituée d'après un bas de carmélite. Nous n'en sommes pas moins en présence d'une chausse d'homme, ainsi qu'en témoignent à la fois sa longueur et la paire d'oeillets pratiquée sur le devant de son entrée.

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Une semelle ABDC est cousue au bas de la chausse en A' D' D" B' C', les trois points D D' D" se trouvant réunis en un seul de façon à produire le profil F. La jambe se ferme ensuite en cousant ED' a E'D". Les parties teintées du patron indiquent des pièces de renfort qui doublent le talon et les parties antérieures de la semelle et de l'avant-pied.

Les chausses à moufles étaient généralement munies de semelles de cuir souple. On les disait alors chausses semelées et elles ne comportaient pas de souliers.

Les chausses semelées étaient fournies et même souvent taillées par les cordonniers. Certains auteurs en ont conclu qu'elles consistaient en des sortes de bottes molles entièrement faites de cuir. Des nombreuses preuves qui réduisent à néant cette assertion, nous nous contenterons de citer les deux suivantes.

En 1352, le cordonnier Martin de Coussi taille, dans 2 aunes d'escarlatte paonnasse de Broixelles et 2 aunes et demie d'un marbré lonc de Broixelles., tirant sur le caignet, à lui fournies par le drapier Jehan Perceval, plusieurs paires de chausses et les semelle pour le roi jean et son frère, le duc Philippe d'Orléans.

En 1387, un tailleur, Jehan Des Molins, confectionne vingt-quatre paires de chausses pour messire Philippe de Bar, puis les donne à semeler à un cordonnier.

Ainsi, les chausses destinées à être semelées étaient taillées dans du drap, soit par les tailleurs, soit par les cordonniers, et toujours semelées par ceux-ci. Jamais donc les chausses semelées ne furent des chausses de cuir.

Lorsqu'il s'agissait de préserver les pieds de l'humidité du sol, on adjoignait aux chausses semelées des galoches ou des patins à brides de cuir.

Les pieds des chausses suivaient naturellement les caprices que la mode imposait aux souliers. A l'époque de Jeanne d'Arc, le goût n'était plus aux poulaines, et, depuis une vingtaine d'années, les bouts arrondis, tels que nous les, avons figurés dans nos précédentes reconstitutions, se trouvaient en faveur. Beaucoup de souliers cependant étaient demeurés pointus, mais les véritables poulaines ne furent reprises qu'en 1445 pour être abandonnées définitivement sous le règne de Charles VIII.

Indépendamment des chausses à étriers et des chausses à moufles, il y eut des chausses qui ne possédaient ni pieds ni étriers. La plupart de ces dernières, fort peu usitées d'ailleurs, offraient l'aspect qu'eurent certains pantalons collants de la Restauration. D'autres, aussi larges en bas qu'en haut de la jambe, ressemblaient beaucoup à nos pantalons modernes. L'iconographie ancienne nous en a conservé quelques exemples. L'un de ceux-ci rappelle, par l'évasement du bas des chausses sur les souliers, les pantalons, dits à pieds d'éléphant, qui furent adoptés par la jeunesse élégante aux environs de 1875.

A l'exception des chausses rondes, les chausses étaient toujours doublées dans leur partie supérieure. Leur doublure descendait plus ou moins bas, sans jamais dépasser la moitié de la jambe. La toile était généralement employée à cette effet Le blanchet, sorte de drap blanc, remplaçait souvent la toile. Les chausses noires du duc Philippe le Bon se trouvaient doublées de drap également noir, en 1455. Dans un compte de Gilles le Tailleur, argentier du duc de Bourbon, daté de 1448, il est question des chausses doublées de roulleau fin d'Angleterre.

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Une miniature d'un manuscrit de la Bibliothèque royale de Bruxelles, nous livre le secret de la façon ingénieuse dont les doublures de chausses étaient taillées à leur extrémité inférieure lorsqu'elles descendaient jusqu'aux mollets (fig. 17). Au lieu d'être coupé droit, le bas de la doublure se terminait en cinq -grandes dents, d'environ sept centimètres de longueur. Cette disposition avait pour avantage de supprimer le relief, qu'aurait occasionné d'une manière fâcheuse autour de la jambe l'épaisseur d'une doublure taillée et cousue horizontalement en ligne droite.

Bien que les points de couture retenant à la chausse les cinq dents de la doublure fussent pour ainsi dire invisibles extérieurement ils devinrent parfois, dans la seconde moitié du quinzième siècle, le prétexte d'une décoration originale. On les recouvrait d'un galon produisant autour de la jambe une soutache en zigzag d'un effet assez heureux.

Nous n'avons pu découvrir comment s'amortissait la doublure quand elle n'enveloppait que la cuisse. Il est possible qu'elle fût également dentelée au dessus du genou. Toujours est-il que notre figure 6 nous montre coupée droite une doublure ne couvrant que le séant.

La figure 18 donne le patron d'une chausse à plain fond, garnie de ses doublures. Celles-ci sont indiquées sur notre dessin par les parties non teintées.

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La doublure renforçait la chausse qui avait besoin d'une certaine solidité pour résister à la tension des attaches. Lorsque les chausses commencèrent à monter vers la taille, quelques chaussetiers se contentèrent de laisser le haut de la doublure à son ancien niveau. Il en résultait, entre ce haut de doublure et celui de la chausse, une zone de drap non doublée, réduite à sa seule épaisseur, et par suite incapable de supporter sans risques la tension de l'attache de derrière, particulièrement en jeu dans la plupart des mouvements de flexion. On remédiait à cet inconvénient au moyen d'une bande de renfort, appelée liure, reliant intérieurement la doublure au haut de la chausse. Les oeillets de derrière se trouvaient alors pratiqués dans l'ourlet des chausses, doublé de l'extrémité des liures.

Il y eut des chausses fourrées, véritables pantoufles montantes, auxquelles on donnait le nom de bottes, ce dernier terme n'ayant jamais désigné au moyen âge les chaussures à hautes tiges des cavaliers, dénommées bottes à partir de la Renaissance.

Nous avons vu, en 1364, les seigneurs attacher leurs chausses à leurs pourpoints à l'aide de sept paires de cordons solidement cousues à l'envers de ces derniers vêtements. Vingt ans plus tard, ces cordons sont remplacés au moins chez quelques uns, par des lanières ferrées d'aiguillettes, nécessitant le percement d'autant de paires d'oeillets dans la braconnière d'un gippon. D'après un texte des Ordonnances royales, ce fut seulement dans les toutes dernières années du quatorzième siècle que les chaussetiers commencèrent à vendre aux gens du peuple des chausses garnies d'aiguillettes et prêtes d'attacher.

Bien que l'aiguillette fût en principe uniquement le mince tuyau de métal conique qu'on adaptait au bout d'un lacet de cuir ou de soie, on finit par donner le nom d'aiguillette au lacet lui-même ferré à chacune de ses extrémités. Dès lors ce qu'on appela communément une aiguillette se trouva être en réalité un ensemble de deux aiguillettes reliées l'une à l'autre par le même lacet.

Une aiguillette de chausses, ferrets compris, avait environ un pied, soit trente-trois centimètres de longueur, chaque ferret ne dépassant pas quatre centimètres.

Dans l'ordre où l'on revêtait les différentes pièces du costume, la chaussure, et par ce nom on entendait aussi bien les chausses que les souliers, la chaussure, disons-nous, ne se mettait qu'après avoir endossé le pourpoint. « Et le matin, lorsque vous vous lèverez, passez d'abord votre chemise et vos braies. Vous mettrez ensuite votre blanchet ou votre futaine, puis vous affublerez votre chaperon; après ce sera le tour des chausses et des souliers, puis des robes qui complètent l'habillement. Enfin ceignez vos courroies et lavez-vous les mains ». C'est ainsi qu'on procédait à sa toilette au treizième siècle. L'expérience nous permet d'affirmer que le même ordre s'imposait pour les vêtements du quinzième. On le retrouve d'ailleurs, avec la seule interversion du chaperon reporté après la robe, dans l'article douze de l'acte d'accusation du procès de Rouen, ou sont énumérés les habits dont l'usage fut reproché à la Pucelle. On pouvait en effet coiffer le chaperon indifféremment avant ou après la chaussure, et même une fois la robe vêtue, ainsi que l'indique l'acte précité.

La précaution que nous avons eue de revêtir à maintes reprises nos reconstitutions de chaussures, pourpoints, robes et chaperons nous permet de parler du costume au temps de Jeanne d'Arc avec quelque expérience. Pour se chausser, nous avons pu constater que l'on y parvenait de la façon suivante.

Ayant endossé le gippon, mais avant de le lacer, on devait s'asseoir afin d'introduire d'abord les jambes dans les chausses préalablement munies de leurs aiguillettes, puis les pieds dans les souliers. Ceux-ci étaient aussitôt bouclés, lacés, agrafés ou boutonnés, car il en existait de plusieurs sortes, se fermant -de différentes manières. Il va sans dire que, lorsque les chausses étaient semelées, elles ne comportaient pas de souliers.

Il fallait ensuite se tenir debout pour nouer les aiguillettes après leur avoir fait traverser les oeillets correspondants du gippon. Contrairement à ce qui se passait avec les estaches du quatorzième siècle, nouées forcément sous le gippon, les aiguillettes du quinzième s'attachaient non moins nécessairement à l'extérieur de ce vêtement.

Les trois aiguillettes postérieures devaient être les premières nouées, en commençant par celle du milieu, puis les deux aiguillettes des côtés, et enfin celles du devant, sauf toutefois la médiane.

On laçait ensuite le gippon depuis le col jusqu'en bas, en ayant soin de réserver les deux derniers oeillets de la laçure pour l'aiguillette du milieu du devant, laquelle ne s'attachait qu'une fois le gippon lacé.

Il n'y avait pas à s'occuper de la chemise lorsqu'elle était suffisamment courte pour ne pouvoir entrer dans les chausses. Celles-ci recouvraient alors directement les braies. Quand la chemise au contraire descendait au dessous de la ligne des oeillets, on en répartissait l'excès de longueur dans les chausses en même temps qu'on nouait les aiguillettes.

La paire d'oeillets, située à cheval sur chaque couture latérale du gippon et destinée à recevoir l'aiguillette du côté se trouvait souvent exhaussée au dessus de la ligne des autres paires d'oeillets, ainsi qu'on peut le voir sur le patron de pourpoint reconstitué plus haut dans le chapitre consacré au gippon (fig. 11). Cet exhaussement de l'attache latérale augmentait son effet de traction sur la chausse et maintenait celle-ci bien tirée vers la hanche, où les mouvements de flexion, plus limités qu'ailleurs, pouvaient s'accommoder d'une forte tension.

Quelques images nous montrent l'attache médiane postérieure avec la même particularité. Mais comme en cet endroit une tension exagérée eût été préjudiciable à la solidité de l'agencement, il fallait, ou bien que les chausses fussent taillées plus montantes par derrière, ou bien que l'aiguillette s'allongeât, en vertu du vieux dicton, rappelé par La Curne de Sainte Palaye dans son Glossaire de l'ancienne langue française « A courtes chausses, longues lanières ».

Le noeud de l'aiguillette n'était pas abandonné à la fantaisie de chacun. Les nombreuses représentations qui nous en ont été conservées nous prouvent qu'il s'opéra constamment de la manière suivante.

Le Rozier des Guerres 1461-1483

Après avoir inégalisé de longueur les deux cordons de l'aiguillette, à leur sortie des oeillets du pourpoint, de façon que l'un devint deux fois plus long que l'autre, on nouait ces deux cordons d'un premier noeud simple, puis d'un second, où le plus long cordon, alors replié sur lui-même, formait une boucle (fig. 19).

Une seule boucle et deux bouts ferrés pendants, tel est l'aspect qu'offre invariablement le noeud de l'aiguillette dans toutes les anciennes images où il se trouve représenté.

Des expériences réitérées nous ont amené à constater que cette opération d'attache des chausses, qui peut paraître compliquée à première vue, devenait rapide avec l'habitude.

Pour se déchausser, il fallait d'abord détacher l'aiguillette médiane du devant, puis délacer le gippon. On dénouait ensuite le reste des aiguillettes. Il n'y avait plus alors qu'à se dépouiller des chausses en les retournant de haut en bas, comme on a pu le remarquer sur notre figure 17. Il était impossible d'en dégager ses jambes en s'y prenant autrement.

Le Rozier des Guerres 1461-1483

La figure 20 nous montre un personnage en train d'attacher ses chausses. Bien que provenant d'une miniature d'environ 1415, cet individu porte un pourpoint à boutons, muni d'estaches intérieurement, à l'ancienne mode du quatorzième siècle. On constatera que, suivant la règle indiquée plus haut, le pourpoint qu'il vient d'endosser est resté déboutonné afin de lui permettre d'y relier ses chausses.

Ferrées ou non, les attaches de ces vêtements ne possédaient pas la propriété d'être élastiques comme nos bretelles. Il en résultait une gêne relative pour certains mouvements de flexion lorsque les chausses étaient liées au gippon par derrière. Cet inconvénient n'existait jamais avec les chausses rondes, dépourvues d'oeillets postérieurs; d'où la vogue persistante de ces chausses dans les classes pauvres depuis le douzième siècle jusqu'aux temps modernes. Mais à l'époque qui nous intéresse, quantité de gens du peuple, ouvriers et paysans, avaient délaissé les chausses rondes pour adopter les chausses à queues. C'est pourquoi l'ancienne iconographie nous met souvent en présence de queues de chausses pendantes par derrière sur les cuisses des travailleurs, ceux-ci s'étant trouvés contraints de dénouer l'aiguillette réunissant les deux queues au gippon afin de faciliter la liberté de mouvement exigée par leurs occupations. On conçoit que les bienséances ne pouvaient admettre une pareille tenue chez les personnes d'un certain rang. Il fallait alors que les chausses fussent tirées à la fasson de court, c'est-à-dire aussi bien par derrière que par devant.

Cette correction de mise n'allait pas sans incommodité. Au temps de Charles V, trois dames ayant à se plaindre du jeune Bouciquaut, père du célèbre maréchal de ce nom, le firent comparaître devant elles pour le confondre. Confortablement installées sur un comptouer, elles entendirent le faire asseoir par terre à leurs pieds. Bouciquaut protesta. « Puis que je suis venus à vostre mandement, faictes moy mettre des quarreaulx ou un siège à moy seoir; car se je me seoie bas, je pourroye rompre mes estaches, et vous me pourriez mettre sus que ce seroit aultre chose. » Beaucoup plus tard, Rabelais nous dira qu'avec des chausses neuves et un pourpoint court, il est incommode de s'asseoir sur une sellette trop basse. C'est évidemment pour cette raison que tant de chaires et de fauteuils nous sont restés des quinzième et seizième siècles, sensiblement plus hauts de siège que ceux des temps modernes.

Il ne faudrait pourtant pas s'exagérer la gêne qui résultait du port des chausses attachées par derrière. Seules les flexions trop complètes sur les extrémités inférieures étaient risquées. On pouvait marcher, bien entendu, et même courir sans être obligé de relâcher aucune attache. Des expériences auxquelles nous nous sommes livré, nous concluons qu'un bon pourpoint, des aiguillettes solides et une paire de chausses cousue comme l'exigeaient les statuts consignés dans les ordonnances royales, permettaient des mouvements assez aisés, à la condition de ne pas agir trop brusquement. Il était facile alors de s'asseoir sur un siège relativement bas, de mettre un genou en terre ou de s'agenouiller complètement. Par contre, on devait renoncer à s'accroupir sur les talons. Il fallait encore moins songer à se courber en avant pour chausser ou enlever houseaux ou souliers. On ne pouvait procéder à ces dernières opérations sans l'aide d'autrui, lorsque les chausses se trouvaient liées par derrière au gippon. Il était malaisé de se hisser sur un cheval autrement qu'avec le secours d'un montoir, car l'extrême flexion de la jambe gauche nécessaire pour que, du sol, le pied atteigne l'étrier se trouvait rendue difficile par la tension que produisaient sur les chausses les attaches de la région lombaire. Ces inconvénients disparurent au cours du seizième siècle, mais seulement lorsque les hauts de chausses descendirent aux genoux. Alors les bas de chausses devinrent entièrement indépendants des hauts de chausses, et, comme les chausses des femmes, ne furent plus maintenus à la jambe que par des jarretières.

Bien que les monuments nous montrent la généralité des chausses du quinzième siècle reliées aux pourpoints par des aiguillettes, nous découvrons dans l'ancien retable du Palais de justice, actuellement au musée du Louvre, un mode de jonction de ces deux sortes de vêtements tout à fait en dehors de la règle ordinaire. Un pourpoint très court, tel qu'on en portait vers 1475, date approximative de la peinture en question, est muni de bouclettes à ardillons cousues au bord de son pourtour inférieur. Ces bouclettes retiennent les chausses par le moyen d'un nombre égal de pattes de cuir fixées à l'entrée de ces dernières et percées chacune de trois trous permettant d'augmenter ou de diminuer à volonté la tension des attaches.

Un autre mode, qui nous parait avoir été encore plus exceptionnel que le précédent, nous est révélé par une miniature d'un Quinte Curce de la Bibliothèque de Genève, d'environ 1460. Des cordons, cousus aux chausses, s'attachent, non à un gippon, mais à une simple ceinture serrée à la taille.

Signalons enfin des chausses se boutonnant au pourpoint, d'après une image allemande de 1449. Ces chausses possèdent par devant, en haut de chaque cuisse, trois boutons qui correspondent à autant de boutonnières pratiquées dans le bas du pourpoint.

Le Rozier des Guerres 1461-1483

Les anciens textes nous apprennent qu'on usait de chausses spéciales pour l'équitation. On les appelait chausses à chevaucher. Il y avait aussi les chausses à houser, c'est-à-dire à porter sous des houseaux. Pour empêcher ceux-ci de descendre sur la jambe, une aiguillette était parfois fixée à la chausse, assez haut sur le côté externe de chaque cuisse. On nouait cette aiguillette après l'avoir introduite dans une paire d'oeillets située en haut de chaque houseau. La figure 21, tirée d'une tapisserie d'environ 1460, qui représente Jules César recevant des ambassadeurs gaulois, montre une chausse de cette sorte. Le personnage auquel elle appartient n'est autre que l'écuyer de César. A pied, tenant par la bride le cheval de son maître, c'est fortuitement qu'il se trouve avoir des souliers au lieu de houseaux. Dans un tableau du musée d'Augsbourg, on distingue nettement l'aiguillette d'attache sur un houseau recouvrant une chausse à houser. Quoique ces deux exemples proviennent d'époques postérieures à celle de notre héroïne, il nous semble probable que la disposition qu'ils révèlent devait exister avec les grands houseaux souples qu'on portait déjà depuis longtemps en 1429. Si nous ne l'avons pas découverte dans l'iconographie contemporaine de cette dernière date, cela tient à ce fait qu'avant 1460, les robes masculines les plus courtes cachaient ordinairement la majeure partie des cuisses

Lorsqu'on chevauchait sans houseaux, le bas des chausses était préservé du contact des flancs du cheval par une housse d'étoffe ou de cuir qui recouvrait la selle.

Des chausses de toile, ou de simples chaussons de même tissu, se mettaient parfois sous les chausses de drap, principalement l'été. Les chaussons se trouvaient être de la dimension de nos chaussettes.

L'hiver, les personnes de complexion délicate remplaçaient la toile par du drap blanc. En 1448 la damoiselle Ysabeau de Bourbon, qui était une personne d'âge, portait des chausses de drap blanc sous des chausses de drap noir.

Remarquons à ce propos que les femmes usaient de chausses rondes, plus courtes que celles des hommes, et qu'elles maintenaient à la jambe, sous le genou au moyen de jarretières, dont l'insigne de l'Ordre anglais de la jarretière nous a conservé un modèle.

Dans son Dictionnaire du mobilier, Viollet-Le Duc prétend, sans fournir d'ailleurs la moindre preuve à l'appui de son assertion, que les femmes des quatorzième et quinzième siècles portaient des hauts-de-chausses indépendamment de leurs chausses. Nous n'avons rencontré aucun document écrit ou figuré corroborant cette opinion de l'éminent architecte. L'iconographie réaliste du moyen age nous montre des femmes dans les différentes phases de leur toilette, en chemise, en chausses, en cotte simple, en robe, mais jamais vêtues de quoi que ce soit pouvant ressembler à un haut-de-chausses. Le plus ancien texte qui mentionne ce vêtement, essentiellement masculin, ne remonte pas au-delà de 1490, et nous ne l'apercevons guère dans les images avant le règne de Louis XII. La lente ascension des chausses, au cours de quinze siècles, les ayant fait enfin parvenir à la taille, il fut dès lors possible de rendre la partie de cet habillement couvrant le bassin indépendante de celle qui revêtait les jambes; d'où la division en haut et bas de chausses. Les premiers hauts-de-chausses s'arrêtèrent en haut des cuisses, ceux qui vinrent ensuite descendirent parfois jusqu'au dessous du genou. Du temps d'Henri IV, on les appela trousses, et plus tard culottes. Ils sont l'origine de nos pantalons, tandis que des bas de chausses proviennent les bas modernes.

Il y eut au moyen âge des chausses tricotées, mais elles furent extrêmement rares, sans doute en raison de leur prix élevé. Les grands seigneurs eux-mêmes n'en usaient qu'exceptionnellement.

Maintes miniatures nous font voir des chausses qui paraissent être de toile ou du moins d'une étoffe grossière, le plus souvent écrue, de consistance analogue. Cette sorte de toile était peut-être le treslis ou le camelin, dont Jehan de Brie recommande l'usage aux bergers en 1379. Car il est à noter que, dans les enluminures susdites, les personnages, porteurs de ce genre de chausses, sont toujours des paysans ou des pèlerins. Quel qu'il fût, toile ou camelin, le tissu en question n'avait pas l'élasticité du lainage. Les chausses rustiques qui s'en trouvaient confectionnées ne pouvaient donc mouler la jambe comme le faisaient les chausses en étoffe de laine. C'est pourquoi les images nous les montrent formant des plis, principalement au bas des jambes, où elles étaient serrées par les souliers.

Nous venons de passer en revue les différents modes qu'affectaient les chausses à l'époque de Jeanne d'Arc. Il s'agit maintenant de reconnaître parmi eux, à l'aide des textes contemporains, celui que la Pucelle avait adopté.

Le greffier de la Rochelle déclare qu'en arrivant à Chinon, elle avait chausses estachées. Ce qui revient à dire qu'elle portait des chausses d'homme. Les chausses masculines en effet s'appelaient chausses estachées, ou à attacher, par opposition aux chausses de femme qui étaient simplement liées sous le genou par une jarretière.

La Chronique des Cordeliers témoigne que Jeanne avait cauches justes, nous enseignant ainsi qu'elle usait de chausses collantes, faites sur mesure, dites alors chausses faitisses.

L'article douze de l'acte d'accusation du procès de Rouen est sensiblement plus explicite. Sous-entendant que les femmes ont toujours porté des chausses courtes et séparées, il reproche à la Pucelle d'avoir préféré l'usage des chausses longues et jointes ensemble. Nous retrouvons ce type dans les patrons donnés par nos figures 11, 15 et 18. Les jambes droites dont ces trois dessins reconstituent les coupes, sont destinées à être cousues vers le haut à autant de jambes gauches inversement taillées. Elles appartiennent donc bien à la catégorie des chausses jointes ensemble, autrement dites chausses à plainfond, ou plaine dedans.jambes.

La chausse de la figure 15 diffère des deux autres par son extrémité inférieure. Elle est à moufle, tandis que les chausses des figures 11 et 18 sont à étriers, et l'histoire ne nous dit pas lequel de ces deux genres avait la faveur de notre héroïne. On peut cependant supposer que les chausses à elle fournies par les habitants de Vaucouleurs pour son voyage en Touraine étaient à étriers du moment qu'elles devaient se compléter de houseaux. Il est possible également qu'en leur qualité de chausses à houser, elles eussent été munies de l'aiguillette que nous avons vue fixée sur la cuisse de la chausse représentée dans notre figure 21, et dont le rôle consistait à maintenir les houseaux dans toute leur longueur.

L'acte d'accusation nous dit encore que les chausses de Jeanne d'Arc se reliaient à son gippon au moyen de vingt aiguillettes. Cette quantité d'attaches était tout à fait anormale, les chausses les mieux tirées ne possédant jamais, d'après les images du quinzième siècle, plus de dix paires d'oeillets réparties comme l'indiquent les trois patrons précités. Nulle part, nous n'avons rencontré un seul exemple de chausses reliées au pourpoint par vingt aiguillettes. Ce nombre inusité d'attaches constitue le seul détail de toilette qui faisait différer le costume de la Pucelle de celui des hommes de son temps. On comprend la raison qui avait fait adopter une telle disposition par notre guerrière.

Dans leurs témoignages au procès de réhabilitation, Jean de Metz et Bertrand de Poulengy déclarent que pendant les onze jours qu'ils mirent à franchir la distance de Vaucouleurs à Chinon pour mener Jeanne au dauphin, celle-ci dormait chaque nuit auprès d'eux, enveloppée dans une couverture, gardant son gippon et ses chausses bien attachées.

Le 28 mars 1431, au château de Rouen, lorsque l'accusation reproche à la Pucelle d'avoir, contre toute bienséance, vécu avec des hommes, celle-ci répond à l'évêque Cauchon, qui lui demande ce qu'elle a à dire à ce sujet, que son gouvernement c'estoit d'ommes; mais quant au logeys et gist, le plus souvent avoit une femme avec elle. Et quand elle es toit en guerre, elle gesoit vestue et armee, la ou elle ne povoit recouvrer de femmes. Nous considérons d'ailleurs comme ayant été impossible à notre héroïne de nouer elle-même les vingt aiguillettes de ses chausses. L'aide d'une femme lui était donc indispensable toutes les fois que, s'étant déchaussée pour la nuit, il lui fallait le lendemain rattacher ses chausses à son gippon.

Le greffier de la Rochelle, qui donne quelques précieuses indications sur la couleur du costume de Jeanne lorsqu'elle se présenta devant Charles VII, omet de nous renseigner sur celle de ses chausses. Il nous apprend seulement que sa robe était grise, son pourpoint et son chaperon noirs. Le silence de cet auteur à l'égard de la nuance des chausses de la Pucelle tend à signifier que celle-ci entra dans la grande salle de Chinon, bottée de ses houseaux. Avec une robe descendant aux genoux, comme les hommes en portaient à cette époque, ses chausses se trouvaient dès lors forcément invisibles.

Bien que l'iconographie ancienne témoigne, pendant tout le cours du moyen âge, d'une grande variété dans la couleur des chausses, l'examen attentif des miniatures aussi bien que celui des comptes et des inventaires contemporains, permet de constater que certaines teintes ont prédominé suivant les époques dans l'habillement des jambes. C'est ainsi qu'on peut citer les chausses noires comme ayant été très souvent les plus usitées, notamment au temps de Jeanne d'Arc, où les chausses vermeilles leur faisaient cependant une sérieuse concurrence. Venaient ensuite alors, par rang de faveur, les blanches, puis plus rarement les grises, les vertes, les roses, les violettes et les bleues.

Le seul texte mentionnant la couleur de chausses qu'aurait portées la Pucelle est un passage du Journal d'un bourgeois de Paris qui décrit de la façon suivante une des mises qu'elle aurait adoptées à l'apogée de sa mission - « Item, plusieurs foys a prins le precieux sacrement de l'autel toutte armée, vestue en guise d'homme, les cheveulz rondiz, chaperon déchiqueté, gippon, chausses vermeilles atachées à foeson aguillettes » Le vermeil était la nuance rouge vermillon très usitée pour vêtir les jambes depuis la fin du quatorzième siècle. Les chausses de Vaucouleurs furent vraisemblablement de teinte plus sobre.

Le Rozier des Guerres 1461-1483

Nous donnons, dans la figure 22, le patron d'une chausse à étrier telle que durent être ces chausses de Vaucouleurs portées par Jeanne sous ses houseaux pendant son voyage à Chinon. On y constatera la présence des dix paires d'oeillets pour une chausse soit vingt pour les deux chausses, qui correspondent aux vingt paires d'oeillets du pour- point représenté dans la figure 16 du chapitre du Gippon.

Notre chausse est accompagnée du devant de l'entre-jambes, naturellement différent de celui des chausses masculines. Au lieu d'être composé, comme ce dernier, de deux morceaux formant poche, il consiste tout simplement en une seule pièce triangulaire.

Tel est le résumé, aussi bref que possible, de tout ce que nous croyons avoir déterminé de certain sur les chausses du moyen âge. On y pourra remarquer les divergences qui nous séparent des auteurs ayant traité avant nous la même question.

Tous ont plus ou moins donné indifféremment au même vêtement de jambes les noms de braies ou de chausses. Nous pensons avoir clairement démontré au chapitre des braies qu'une telle confusion est inadmissible.

Gay prétend que la division des chausses en hauts et bas de chausses remonte à l'époque carolingienne, et nous avons vu que cette combinaison n'apparaît, ni dans les textes ni dans les images, avant l'année 1490.

Par une inadvertance inexplicable, Racinet donne constamment le nom de haut de chausses aux chausses des quatorzième et quinzième siècle.

D'après Gay, les chausses auraient été la partie du costume masculin couvrant le corps de la ceinture aux pieds. Nous n'avons pu découvrir le moindre exemple iconographique de chausses atteignant la ceinture avant l'époque de la Renaissance. S'appuyant sur un texte mal compris, où il traduit à tort le mot nouet par noeud, le même auteur assure que, dans la seconde moitié du quatorzième siècle, les chausses furent serrées à la taille par un noeuds. L'étude des images contemporaines et l'examen du pourpoint de Charles de Blois contredisent cette assertion.

Enfin nulle part, en quinze années d'investigations à travers l'iconographie du moyen age, nous n'avons aperçu la corde qui, au dire de l'allemand Hottenroth, attachait les chausses autour de la taille de ses compatriotes du quatorzième siècle, et pas davantage, ne s'est offerte à nos regards la petite jupe bouffante d'où sortaient les cuisses de nos ancêtres de la même époque selon l'affirmation d'Ary Renan.



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